Etsi l’oisivetĂ© nous mettait sur la voie d’une sociĂ©tĂ© plus juste favorisant l’épanouissement de chacun ? « Il existe deux types de travail : le premier consiste Ă  dĂ©placer une certaine quantitĂ© de matiĂšre se trouvant Ă  la surface de la terre ou dans le sol; le second, Ă  dire Ă  quelqu'un d'autre de le faire. » (Bertrand Russell)
Bertrand Russell Avant de lire la suite, je vous invite Ă  regarder la piĂšce de Dominique Rongvaux intitulĂ©e “Éloge de l’oisivetĂ©â€ Bertrand Russell traduit par M. Parmentier Ainsi que la plupart des gens de ma gĂ©nĂ©ration, j’ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© selon le principe que l’oisivetĂ© est mĂšre de tous vices. Comme j’étais un enfant pĂ©tris de vertu, je croyais tout ce qu’on me disait, et je me suis ainsi dotĂ© d’une conscience qui m’a contraint Ă  peiner au travail toute ma vie. Cependant, si mes actions ont toujours Ă©tĂ© soumises Ă  ma conscience, mes idĂ©es, en revanche, ont subi une rĂ©volution. En effet, j’en suis venu Ă  penser que l’on travaille beaucoup trop de par le monde, que de voir dans le travail une vertu cause un tort immense, et qu’il importe Ă  prĂ©sent de faire valoir dans les pays industrialisĂ©s un point de vue qui diffĂšre radicalement des prĂ©ceptes traditionnels. Tout le monde connaĂźt l’histoire du voyageur qui, Ă  Naples, vit 12 mendiants Ă©tendus au soleil c’était avant Mussolini, et proposa une lire Ă  celui qui se montrerait le plus paresseux. 11 d’entre eux bondirent pour venir la lui rĂ©clamer il la donna donc au 12e. Ce voyageur Ă©tait sur la bonne piste. Toutefois, dans les contrĂ©es qui ne bĂ©nĂ©ficient pas du soleil mĂ©diterranĂ©en, l’oisivetĂ© est chose plus difficile, et il faudra faire beaucoup de propagande auprĂšs du public pour l’encourager Ă  la cultiver. J’espĂšre qu’aprĂšs avoir lu les pages qui suivent, les dirigeants du YMCA lanceront une campagne afin d’inciter les jeunes gens honnĂȘtes Ă  ne rien faire, auquel cas je n’aurais pas vĂ©cu en vain. Avant d’exposer mes arguments en faveur de la paresse, il faut que je rĂ©fute un raisonnement que je ne saurais accepter. Quand quelqu’un a dĂ©jĂ  suffisamment d’argent pour vivre envisage de prendre un emploi ordinaire, d’enseignants ou de dactylos par exemple, on lui dit que cela revient Ă  ĂŽter le pain de la bouche Ă  quelqu’un d’autre et que c’est donc mal faire. Si ce raisonnement Ă©tait valide, nous n’aurions tous qu’à demeurer oisifs pour avoir du pain plein la bouche. Ce qu’oublient ceux qui avancent de telles choses, c’est que normalement on dĂ©pense ce que l’on gagne, et qu’ainsi on crĂ©e de l’emploi. Tant qu’on dĂ©pense son revenu, on met autant de pain dans la bouche des autres en dĂ©pensant qu’on en retire en gagnant de l’argent. Le vrai coupable, dans cette perspective, c’est l’épargnant. S’il se contente de garder ses Ă©conomies dans un bas de laine, il est manifeste que celles-ci ne contribuent pas Ă  l’emploi. Si, par contre, ils les investit, cela devient plus compliquĂ©, et divers cas se prĂ©sentent. L’une des choses les plus banales que l’on puisse faire de ses Ă©conomies, c’est de les traiter Ă  l’État. Étant donnĂ© que le gros des dĂ©penses publiques de la plupart des États civilisĂ©s est consacrĂ©s soit au remboursement des dettes causĂ©es par des guerres antĂ©rieures, soit Ă  la prĂ©paration de guerres Ă  venir, celui qui prĂȘte son argent Ă  l’État se met dans une situation similaire Ă  celle des vilains personnages qui, dans les piĂšces de Shakespeare, en gage des assassins. En fin de compte, le produit de son Ă©conomie sert Ă  accroĂźtre les forces armĂ©es de l’État auquel il prĂȘte ses Ă©pargnes. De toute Ă©vidence, il vaudrait mieux qu’ils dĂ©pensent son pĂ©cule, quitte Ă  le jouer ou Ă  le boire. Mais, me direz-vous, le cas est totalement diffĂ©rent si l’épargne est investie dans des entreprises industrielles. C’est vrai, du moins quand de telles entreprises rĂ©ussissent et produisent quelque chose d’utile. Cependant, de nos jours, nul ne peut nier que la plupart des entreprises Ă©chouent. Ce qui veut dire qu’une grande partie du travail humain aurait pu ĂȘtre consacrĂ©e Ă  produire quelque chose d’utile et agrĂ©able s’est dissipĂ©e dans la fabrication de machines qui, une fois fabriquĂ©es, sont restĂ©s inutilisĂ©es sans profiter Ă  personne. Celui qui investit ses Ă©conomies dans une entreprise qui fait faillite cause donc du tort aux autres autant qu’à lui-mĂȘme. Si, par exemple, il dĂ©pensait son argent en fĂȘtes pour ses amis, ceux-ci on peut l’espĂ©rer en retireraient du plaisir, ainsi d’ailleurs que tous ceux chez qui il s’approvisionnerait, comme le boucher, le boulanger et le bootlegger. Mais s’il le dĂ©pense, par exemple, pour financer la pose de rails de tramway en un endroit oĂč il n’en a que faire, il a dĂ©viĂ© une somme de travail considĂ©rable dans des voies oĂč ce travail ne procure de plaisir Ă  personne. NĂ©anmoins, quand la faillite de son investissement l’aura rĂ©duit Ă  la pauvretĂ©, on le considĂ©rera comme la victime d’un malheur immĂ©ritĂ©, tandis que le joyeux prodigue, malgrĂ© le caractĂšre philanthropique de ses dĂ©penses, sera mĂ©prisĂ© pour sa bĂȘtise et sa frivolitĂ©. Tout ceci n’est que prĂ©ambule. Pour parler sĂ©rieusement, ce que je veux dire, c’est que le fait de croire que le TRAVAIL est une vertu est la cause de grands mots dans le monde moderne, et que la voie bonheur et de la prospĂ©ritĂ© passe par une diminution mĂ©thodique du travail. Et d’abord, qu’est-ce que le travail ? Il existe deux types de travail le premier consiste Ă  dĂ©placer une certaine quantitĂ© de matiĂšre se trouvant Ă  la surface de la terre, ou dans le sol mĂȘme ; le second, Ă  dire Ă  quelqu’un d’autre de le faire. Le premier type de travail est dĂ©sagrĂ©able et mal payĂ© ; le second est agrĂ©able et trĂšs bien payĂ©. Le second type de travail peut s’étendre de façon illimitĂ©e il y a non seulement ceux qui donnent des ordres, mais aussi ceux qui donnent des conseils sur le genre d’ordres Ă  donner. Normalement, deux sortes de conseils sont donnĂ©s simultanĂ©ment par deux groupes organisĂ©s c’est ce qu’on appelle la politique. Il n’est pas nĂ©cessaire pour accomplir ce type de travail de possĂ©der des connaissances dans le domaine oĂč l’on dispense des conseils ce qu’il faut par contre, c’est maĂźtriser l’art de persuader par la parole et par l’écrit, c’est-Ă -dire l’art de la publicitĂ©. Partout en Europe, mais pas en AmĂ©rique, il existe une troisiĂšme classe d’individus, plus respectĂ©e que ne l’est aucune des deux autres. Ce sont des gens qui, parce qui possĂšdent des terres, sont en mesure de faire payer aux autres le privilĂšge d’ĂȘtre autorisĂ©s Ă  exister et Ă  travailler. Ces propriĂ©taires fonciers sont des oisifs et on pourrait donc s’attendre Ă  ce que j’en fasse l’éloge. Malheureusement, leur oisivetĂ© n’est rendue possible que par l’industrie des autres ; en fait, leur dĂ©sir d’une oisivetĂ© confortable est, d’un point de vue historique, la source mĂȘme du dogme du travail. La derniĂšre chose qu’ils voudraient serait que d’autres suivent leur exemple. Depuis le dĂ©but de la civilisation jusqu’à la RĂ©volution industrielle, en rĂšgle gĂ©nĂ©rale, un homme ne pouvait guĂšre produire par son labeur plus qu’il ne lui fallait, Ă  lui et Ă  sa famille, pour subsister mĂȘme si sa femme peinait Ă  la tĂąche au moins autant que lui, et si ses enfants se joignaient Ă  eux des petits en Ă©taient capables. Le peu d’excĂ©dent qui restait lorsqu’on avait assurĂ© les choses essentielles de la vie n’était pas concernĂ© par ceux qui l’avaient produit c’étaient les guerriers et les prĂȘtres se l’appropriaient. Par temps de famine, il n’y avait pas d’excĂ©dent, mais les prĂȘtres et les guerriers prĂ©levaient leur dĂ» comme de rien n’était, en sorte que nombre de travailleurs mourait de faim. C’est le systĂšme que connut la Russie jusqu’en 1917 et qui perdure encore en Orient. En Angleterre, malgrĂ© la RĂ©volution industrielle, il continua Ă  sĂ©vir tout au long des guerres napolĂ©oniennes et jusque dans les annĂ©es 1830, qui virent la montĂ©e d’une nouvelle classe de manufacturiers. En AmĂ©rique, il prit fin avec la RĂ©volution, sauf dans le Sud, oĂč il se perpĂ©tua jusqu’à la Guerre de SĂ©cession. Un systĂšme qui a durĂ© aussi longtemps et qui n’a pris fin que si rĂ©cemment a naturellement laissĂ© une marque profonde dans les pensĂ©es et les opinions des gens. La plupart de nos convictions quant aux avantages du travail sont issus de ce systĂšme Ă©tant donnĂ© leurs origines prĂ©-industrielles, il est Ă©vident que ces idĂ©es ne sont pas adaptĂ©es au monde moderne. La technique moderne a permis aux loisirs, jusqu’à un certain point, de cesser d’ĂȘtre la prĂ©rogative des classes privilĂ©giĂ©es minoritaires pour devenir un droit Ă©galement rĂ©parti dans l’ensemble de la collectivitĂ©. La morale travail est une morale d’esclave, et le monde moderne n’a nul besoin de l’esclavage. De toute Ă©vidence, s’ils avaient Ă©tĂ© laissĂ©s Ă  eux mĂȘmes, les paysans des collectivitĂ©s primitives ne se seraient jamais dessaisis du maigre excĂ©dent qui devait ĂȘtre consacrĂ© Ă  la subsistance des prĂȘtres et des guerriers, mais aurait soit rĂ©duit leur production, soit augmentĂ© leur consommation. Au dĂ©but, c’est par la force brute qu’ils furent contraints de produits ce surplus et de s’en dĂ©munir. Peu Ă  peu cependant, on s’aperçut qu’il Ă©tait possible de faire accepter Ă  bon nombre d’entre eux une Ă©thique selon laquelle il Ă©tait de leur devoir de travailler dur, mĂȘme si une partie de leur travail servait Ă  entretenir d’autres individus dans l’oisivetĂ©. De la sorte, la contrainte Ă  exercer Ă©tait moindre, et les dĂ©penses du gouvernement en Ă©taient diminuĂ©es d’autant. Encore aujourd’hui, 99 % des salariĂ©s britanniques seraient vĂ©ritablement choquĂ©s si l’on proposait que le roi ne puisse jouir d’un revenu supĂ©rieur Ă  celui d’un travailleur. La notion de devoir, point de vue historique s’entend, fut un moyen qu’ont employĂ© les puissants pour amener les autres Ă  consacrer leur vie aux intĂ©rĂȘts de leurs maĂźtres plutĂŽt qu’aux leurs. Bien entendu, ceux qui dĂ©tiennent le pouvoir se masquent cette rĂ©alitĂ© Ă  eux-mĂȘmes en se persuadant que leurs intĂ©rĂȘts coĂŻncident avec ceux de l’humanitĂ© tout entiĂšre. C’est parfois vrai les AthĂ©niens qui possĂ©daient des esclaves, par exemple, employĂšrent une partie de leurs loisirs Ă  apporter Ă  la civilisation une contribution permanente, ce qui aurait Ă©tĂ© impossible sous un rĂ©gime Ă©conomique Ă©quitable. Le loisir est indispensable Ă  la civilisation, et, jadis, le loisir d’un petit nombre n’était possible que grĂące au labeur du grand nombre. Mais ce labeur avait de la valeur, non parce que le travail est une bonne chose, mais parce que le loisir est une bonne chose. GrĂące Ă  la technique moderne, il serait possible de rĂ©partir le loisir de façon Ă©quitable sans porter prĂ©judice Ă  la civilisation. La technique moderne a permis de diminuer considĂ©rablement la somme de travail requise pour procurer Ă  chacun les choses indispensables Ă  la vie. La preuve en fut faite durant la guerre. Au cours de celle-ci, tous les hommes mobilisĂ©s sous les drapeaux, tous les hommes et toutes les femmes affectĂ©s soit Ă  la production de munitions, soit encore Ă  l’espionnage, Ă  la propagande ou Ă  un service administratif reliĂ© Ă  la guerre, furent retirĂ©s des emplois productifs. MalgrĂ© cela, le niveau de bien-ĂȘtre matĂ©riel de l’ensemble des travailleurs nonspĂ©cialisĂ©s cĂŽtĂ© des AlliĂ©s Ă©tait plus Ă©levĂ© qu’il ne l’était auparavant ou qu’il ne l’a Ă©tĂ© depuis. La portĂ©e de ce fait fut occultĂ©e par des considĂ©rations financiĂšres les emprunts donnĂšrent l’impression que le futur nourrissait le prĂ©sent. Bien sĂ»r, c’était lĂ  chose impossible personne ne peut manger un pain qui n’existe pas encore. La guerre a dĂ©montrĂ© de façon concluante que l’organisation scientifique de la production permet de subvenir aux besoins des populations modernes en n’exploitant qu’une part minime de la capacitĂ© de travail du monde actuel. Si, Ă  la fin de la guerre, cette organisation scientifique laquelle avait Ă©tĂ© mise au point pour dĂ©gager un bon nombre d’hommes afin qu’ils puissent ĂȘtre affectĂ©s au combat ou au service des munitions avait Ă©tĂ© prĂ©servĂ©e, et si on avait pu rĂ©duire Ă  quatre le nombre d’heures de travail, tout aurait Ă©tĂ© pour le mieux. Au lieu de quoi, on en est revenu au vieux systĂšme chaotique oĂč ceux dont le travail Ă©tait en demande devaient faire de longues journĂ©es tandis qu’on n’abandonnait le reste au chĂŽmage et Ă  la faim. Pourquoi ? Parce que le travail est un devoir et que le salaire d’un individu ne doit pas ĂȘtre proportionnĂ© Ă  ce qu’il produit, mais proportionnĂ© Ă  sa vertu, laquelle se mesure Ă  son industrie. On reconnaĂźt la morale de l’État esclavagiste, mais s’appliquant cette fois dans des circonstances qui n’ont rien Ă  voir avec celles dans lesquelles celui-ci a pris naissance. Comment s’étonner que le rĂ©sultat est Ă©tĂ© dĂ©sastreux. Prenons un exemple. Supposons qu’à un moment donnĂ©, un certain nombre de gens travaillent Ă  fabriquer des Ă©pingles. Ils fabriquent autant d’épingles qu’il en faut dans le monde entier, en travaillant, disons, huit heures par jour. Quelqu’un met au point une invention qui permet au mĂȘme nombre de personnes de faire deux fois plus d’épingles auparavant. Bien, mais le monde n’a pas besoin de deux fois plus d’épingles les Ă©pingles sont dĂ©jĂ  si bon marchĂ© qu’on n’en achĂštera guĂšre davantage mĂȘme si elles coĂ»tent moins cher. Dans un monde raisonnable, tous ceux qui sont employĂ©s dans cette industrie se mettraient Ă  travailler quatre heures par jour plutĂŽt que huit, et tout irait comme avant. Mais dans le monde rĂ©el, on craindrait que cela ne dĂ©moralise les travailleurs. Les gens continuent donc Ă  travailler huit heures par jour, il y a trop d’épingles, des employeurs font faillite, et la moitiĂ© des ouvriers perdent leur emploi. Au bout du compte, la somme de loisirs est la mĂȘme dans ce cas-ci que dans l’autre, sauf que la moitiĂ© des individus concernĂ©s en sont rĂ©duits Ă  l’oisivetĂ© totale, tandis que l’autre moitiĂ© continue Ă  trop travailler. On garantit ainsi que le loisir, par ailleurs inĂ©vitable, sera cause de misĂšre pour tout le monde plutĂŽt que d’ĂȘtre une source de bonheur universel. Peut-on imaginer plus absurde ? L’idĂ©e que les pauvres puissent avoir des loisirs a toujours choquĂ© les riches. En Angleterre, au XIXe siĂšcle, la journĂ©e de travail normal Ă©tait de quinze heures pour les hommes, de douze heures pour les enfants, bien que ces derniers est parfois travaillĂ© quinze heures eux aussi. Quand des fĂącheux, des empĂȘcheurs de tourner en rond suggĂ©raient que c’était peut-ĂȘtre trop, ont leur rĂ©pondait que le travail Ă©vitait aux adultes de sombrer dans l’ivrognerie et aux enfants de faire des bĂȘtises. Dans mon enfance, peu aprĂšs que les travailleurs des villes eurent acquis le droit de vote, un certain nombre de jours fĂ©riĂ©s furent Ă©tablis en droit, au grand dam des classes supĂ©rieures. Je me rappelle avoir entendu une vieille duchesse qui disait qu’est-ce que les pauvres vont faire avec des congĂ©s ? C’est travailler qu’il faut. » De nos jours, les gens sont moins francs, mais conserve les mĂȘmes idĂ©es reçues, lesquels sont en grande partie Ă  l’origine de notre confusion dans le domaine Ă©conomique. Examinons un instant cette morale du travail de façon franche et dĂ©nuĂ©e de superstition. Chaque ĂȘtre humain consomme nĂ©cessairement au cours de son existence une certaine part de ce qui est produit par le travail humain. Si l’on suppose, comme il est lĂ©gitime, que le travail est dans l’ensemble dĂ©sagrĂ©able, il est injuste qu’un individu consomme davantage qu’il ne produit. Bien entendu, il peut fournir des services plutĂŽt que des biens de consommation, comme un mĂ©decin, par exemple ; mais il faut qu’il fournisse quelque chose en Ă©change du gĂźte et du couvert. En ce sens, il faut admettre que le travail est un devoir, mais en ce sens seulement. Je n’insisterai pas sur le fait que dans toutes les sociĂ©tĂ©s modernes, mis Ă  part l’URSS, beaucoup de gens Ă©chappent mĂȘme Ă  ce minimum de travail, je veux parler de ceux qui reçoivent de l’argent par hĂ©ritage ou par mariage. Je pense qu’il est beaucoup moins nuisible de permettre Ă  ces gens-lĂ  de vivres oisifs que de condamner ceux qui travaillent Ă  se crever Ă  la tĂąche Ă  crever de faim. Si le salariĂ© ordinaire travaillait quatre heures par jour, il y aurait assez de tout pour tout le monde, et pas de chĂŽmage en supposant qu’on ait recours Ă  un minimum d’organisation rationnelle. Cette idĂ©e choc les nantis parce qu’ils sont convaincus que les pauvres ne sauraient comment utiliser autant de loisirs. En AmĂ©rique, les hommes font souvent de longues journĂ©es de travail mĂȘme s’ils sont dĂ©jĂ  trĂšs Ă  l’aise ; de tels hommes sont naturellement indignĂ©s Ă  l’idĂ©e que les salariĂ©s puissent connaĂźtre le loisir, sauf sous la forme d’une rude punition pour s’ĂȘtre retrouvĂ© au chĂŽmage. En fait, ils exĂšcrent le loisir, mĂȘme pour leurs fils. Chose pourtant curieuse, alors qu’ils veulent que leur fils travaille tellement qu’ils n’aient pas le temps d’ĂȘtre civilisĂ©s, ça ne les dĂ©range pas que leurs femmes et leurs filles n’aient absolument rien Ă  faire. Dans une sociĂ©tĂ© aristocratique, l’admiration snobisme voue Ă  l’inutile s’étend aux deux sexes, alors que, dans une ploutocratie, elle se limite aux femmes, ce qui n’est d’ailleurs pas pour la rendre plus conformes au sens commun. Le bon usage du loisir, il faut le reconnaĂźtre, est le produit de la civilisation et de l’éducation. Un homme qui a fait de longues journĂ©es de travail toute sa vie s’ennuiera s’il est soudain livrĂ© Ă  l’oisivetĂ©. Mais sans une somme considĂ©rable de loisir Ă  sa disposition, un homme n’a pas accĂšs Ă  la plupart des meilleures choses de la vie. Il n’y a plus aucune raison pour que la majeure partie de la population subisse cette privation ; seul un ascĂ©tisme irrĂ©flĂ©chi, entretient notre obsession du travail excessif Ă  prĂ©sent que le besoin s’en fait sentir. Quoi que le nouveau dogme auquel est soumis le gouvernement de la Russie comporte de grandes diffĂ©rences avec l’enseignement traditionnel de l’Occident, il y a certaines choses qui n’ont aucunement changĂ©. L’attitude des classes gouvernantes, en particulier de ceux qui s’occupent de propagande Ă©ducative, quant Ă  la dignitĂ© du travail, est presque exactement celle que les classes gouvernantes du monde entier ont toujours prĂȘchĂ©e Ă  ceux que l’on appelait les bons pauvres ». Être industrieux, sobre, disposĂ©s Ă  travailler dur pour des avantages lointains, tout cela revient sur le tapis, mĂȘme la soumission Ă  l’autoritĂ©. D’ailleurs, l’autoritĂ© reprĂ©sente toujours la volontĂ© du MaĂźtre de l’Univers, lequel, toutefois, est maintenant connu sous le nom de MatĂ©rialisme Dialectique. La victoire du prolĂ©tariat en Russie a certains points en commun avec la victoire des fĂ©ministes dans d’autres pays. Durant des siĂšcles, les hommes avaient concĂ©dĂ© aux femmes la supĂ©rioritĂ© sur l’échelle de la saintetĂ© et les avaient consolĂ©s de leur infĂ©rioritĂ© en faisant valoir que la saintetĂ© est plus dĂ©sirable que le pouvoir. À la fin, les fĂ©ministes ont dĂ©cidĂ© qu’elles voulaient les deux, puisque les premiĂšres d’entre elles croyaient tout ce que les hommes leur avaient racontĂ© sur l’excellence de la vertu, mais pas ce qu’ils avaient dit quant Ă  l’insignifiance pouvoir politique. Quelque chose d’analogue s’est produit en Russie en ce qui a trait au travail manuel. Pendant des siĂšcles, les riches et leurs thurifĂ©raires ont fait l’éloge de l’honnĂȘte labeur », ont vantĂ© la vie simple, ont professĂ© une religion qui enseigne que les pauvres ont bien plus de chances que les riches d’aller au paradis. En gĂ©nĂ©ral, ils ont essayĂ© de faire croire aux travailleurs manuels que toute activitĂ© qui consiste Ă  dĂ©placer de la matiĂšre revĂȘt une certaine forme de noblesse, tout comme les hommes ont tentĂ© de faire croire aux femmes que l’esclavage sexuel leur confĂ©rait une espĂšce de grandeur. En Russie, toutes ces leçons portant sur l’excellence du travail manuel ont Ă©tĂ© prises au sĂ©rieux, tant et si bien que le travailleur manuel est placĂ© sur un piĂ©destal. On lance ainsi des appels Ă  une mobilisation, au nom de valeurs essentiellement passĂ©istes, mais pas Ă  des fins traditionnelles, plutĂŽt dans le but de recruter des travailleurs de choc pour des tĂąches dĂ©terminĂ©es. Le travail manuel est idĂ©al que l’on prĂ©sente aux jeunes, il est aussi Ă  la base de toute leçon de morale. Pour l’instant, il est possible que ce soit trĂšs bien ainsi. Un pays immense, regorgeant de ressources naturelles, attend d’ĂȘtre dĂ©veloppĂ©, et ce dĂ©veloppement doit s’effectuer sans qu’on puisse recourir au crĂ©dit. Dans de telles circonstances, un travail acharnĂ© est nĂ©cessaire et portera probablement ses fruits. Mais que va-t-il se passer lorsqu’on aura atteint le point oĂč il serait possible que tout le monde vive Ă  l’aise sans trop travail ? À l’Ouest, nous avons diverses maniĂšres de rĂ©soudre le problĂšme. En l’absence de toute tentative de justice Ă©conomique, une grande proportion du produit global va Ă  une petite minoritĂ© de la population, laquelle compte beaucoup d’oisifs. Comme il n’existe pas de contrĂŽle central de la production, nous produisons Ă©normĂ©ment de choses dont nous n’avons pas besoin. Nous maintenons une forte proportion de la main-d’oeuvre en chĂŽmage parce que nous pouvons nous passer d’elle en surchargeant de travail ceux qui restent. Quand toutes ces mĂ©thodes s’avĂšrent insuffisantes, nous faisons la guerre nous employons ainsi un certain nombre de gens Ă  fabriquer des explosifs et d’autres Ă  les faire Ă©clater, comme si nous Ă©tions des enfants venaient de dĂ©couvrir les feux d’artifice. En combinant ces divers procĂ©dĂ©s, nous parvenons, non sans mal, Ă  prĂ©server l’idĂ©e que le travail manuel, long et pĂ©nible, est le lot inĂ©luctable de l’homme du commun. En Russie, Ă©tant donnĂ© qu’il y a plus de justice Ă©conomique et de contrĂŽle centralisĂ© de la production, le problĂšme sera rĂ©solu diffĂ©remment. La solution rationnelle serait, aussitĂŽt qu’on aura subvenu aux besoins essentiels de chacun et assurer un minimum de confort, de rĂ©duire graduellement les heures de travail, en laissant Ă  la population le soin de dĂ©cider par rĂ©fĂ©rendum, Ă  chaque Ă©tape, s’il vaut mieux augmenter le loisir ou la production. Toutefois, comme les autoritĂ©s en place ont fait du labeur la vertu suprĂȘme, on voit mal comment elles pourront viser un paradis oĂč il y aura beaucoup de loisirs et peu de travail. Il semble plus probable qu’elles trouveront continuellement de nouvelles raisons de justifier le sacrifice du loisir prĂ©sent au profit d’une productivitĂ© future. J’ai lu rĂ©cemment que des ingĂ©nieurs russes ont proposĂ© un plan assez ingĂ©nieux pour augmenter la tempĂ©rature de la mer Blanche et du littoral septentrional de la SibĂ©rie en construisant un barrage sur la mer de Kara. Projet admirable, mais qui risque de reporter d’une gĂ©nĂ©ration le confort des prolĂ©taires, pendant que l’effort laborieux dĂ©ploie toute sa noblesse parmi les champs de glace et les tempĂȘtes de neige de l’ocĂ©an Arctique. Si une telle entreprise devait voir le jour, elle ne saurait rĂ©sulter que d’une conception du travail pĂ©nible comme fin en soi, plutĂŽt que comme moyen de parvenir Ă  un Ă©tat de choses oĂč ce genre de travail ne sera plus nĂ©cessaire. Le fait est que l’activitĂ© qui consiste Ă  dĂ©placer de la matiĂšre, si elle est, jusqu’à un certain point, nĂ©cessaire Ă  notre existence, n’est certainement pas l’une des fins de la vie humaine. Si c’était le cas, nous devrions penser que n’importe quel terrassier est supĂ©rieur Ă  Shakespeare. Deux facteurs nous ont induit en erreur Ă  cet Ă©gard. L’un, c’est qu’il faut bien faire en sorte que les pauvres soient contents de leur sort, ce qui a conduit les riches, durant des millĂ©naires, Ă  prĂȘcher la dignitĂ© du travail, tout en prenant bien soin eux-mĂȘmes de manquer Ă  ce noble idĂ©al. L’autre est le plaisir nouveau que procure la mĂ©canique en nous permettant d’effectuer Ă  la surface de la terre des transformations d’une Ă©tonnante ingĂ©niositĂ©. En fait aucun de ces deux facteurs ne saurait motiver celui qui doit travailler. Si vous lui demandez son opinion sur ce qu’il y a de mieux dans sa vie, il y a peu de chances qu’ils vous rĂ©pondent j’aime le travail manuel parce que ça me donne l’impression d’accomplir la tĂąche la plus noble de l’homme, et aussi par ce que j’aime penser aux transformations que l’homme est capable de faire subir Ă  sa planĂšte. C’est vrai que mon corps a besoin de pĂ©riodes de repos, oĂč il faut que je m’occupe du mieux que je peux, mais je ne suis jamais aussi content que quand vient le matin et que je peux retourner Ă  la besogne qui est la source de bonheur. » Je n’ai jamais entendu d’ouvriers parler de la sorte. Ils considĂšrent, Ă  juste titre, que le travail est un moyen nĂ©cessaire pour gagner sa vie, et c’est leurs heures de loisir qu’ils tirent leur bonheur, tel qu’il est. On dira que, bien qu’il soit agrĂ©able d’avoir un peu de loisirs, s’ils ne devaient travailler que quatre heures par jour, les gens ne sauraient pas comment remplir leurs journĂ©es. Si cela est vrai dans le monde actuel, notre civilisation est bien en faute ; Ă  une Ă©poque antĂ©rieure, ce n’aurait pas Ă©tĂ© le cas. Autrefois, les gens Ă©taient capables d’une gaietĂ© et d’un esprit ludique qui ont Ă©tĂ© plus ou moins inhibĂ©s par le culte de l’efficacitĂ©. L’homme moderne pense que toute activitĂ© doit servir Ă  autre chose, qu’aucune activitĂ© ne doit ĂȘtre une fin en soi. Les gens sĂ©rieux, par exemple, condamnent continuellement l’habitude d’aller au cinĂ©ma, et nous disent que c’est une habitude les jeunes au crime. Par contre, tout le travail que demande la production cinĂ©matographique est respectable, parce qu’il gĂ©nĂšre des bĂ©nĂ©fices financiers. L’idĂ©e que les activitĂ©s dĂ©sirables sont celles qui engendrent des profits a tout mis Ă  l’envers. Le boucher, qui vous fournit en viande, et le boulanger, qui vous fournit en pain, sont dignes d’estime parce qu’il gagnait de l’argent ; mais vous, quand vous savourez la nourriture qu’ils vous ont fournie, vous n’ĂȘtes que frivole, Ă  moins que vous ne mangiez dans l’unique but de reprendre des forces avant de vous remettre au travail. De façon gĂ©nĂ©rale, on estime que gagner de l’argent, c’est bien, mais que le dĂ©penser, c’est mal. Quelle absurditĂ©, si l’on songe qu’il y a toujours deux parties dans une transaction autant soutenir que les clĂ©s, c’est bien, mais les trous de serrure, non. Si la production de biens a quelque mĂ©rite, celui-ci ne saurait rĂ©sider que dans l’avantage qu’il peut y avoir Ă  les consommer. Dans notre sociĂ©tĂ©, l’individu travaille pour le profit, mais la finalitĂ© sociale de son travail rĂ©side dans la consommation de ce qu’il produit. C’est ce divorce entre les fins individuelles et les fins sociales de la production qui empĂȘche les gens de penser clairement dans un monde oĂč c’est le profit qui motive l’industrie. Nous pensons trop Ă  la production, pas assez Ă  la consommation. De ce fait, nous attachons trop peu d’importance au plaisir et au bonheur simple, et nous ne jugeons pas la production en fonction du plaisir qu’elle procure aux consommateurs. Quand je suggĂšre qu’il faudrait rĂ©duire Ă  quatre le nombre d’heures de travail, je ne veux pas laisser entendre qu’il faille dissiper en pure frivolitĂ© tout le temps qui reste. Je veux dire qu’en travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et qu’il devrait pouvoir disposer du reste de son temps comme bon lui semble. Dans un tel systĂšme social, il est indispensable que l’éducation soit poussĂ©e beaucoup plus loin qu’elle ne l’est actuellement pour la plupart des gens, et qu’elle vise, en partie, Ă  dĂ©velopper des goĂ»ts qui puissent permettre Ă  l’individu d’occuper ses loisirs intelligemment. Je ne pense pas principalement aux choses dites pour intellos ». Les danses paysannes, par exemple, ont disparu, sauf au fin fond des campagnes, mais les impulsions qui ont commandĂ© Ă  leur dĂ©veloppement doivent toujours exister dans la nature humaine. Les plaisirs des populations urbaines sont devenus essentiellement passifs aller au cinĂ©ma, assistĂ© Ă  des matchs de football, Ă©couter la radio, etc. Cela tient au fait que leurs Ă©nergies actives sont complĂštement accaparĂ©es par le travail ; si ces populations avaient davantage de loisir, elles recommenceraient Ă  goĂ»ter des plaisirs auxquels elles prenaient jadis une part active. Autrefois, il existait une classe oisive assez restreinte et une classe laborieuse plus considĂ©rable. La classe oisive bĂ©nĂ©ficiait davantage qui ne trouvaient aucun fondement dans la justice sociale, ce qui la rendait nĂ©cessairement despotique, limitait sa compassion, et l’amenait Ă  inventer des thĂ©ories qui pussent justifier ses privilĂšges. Ces caractĂ©ristiques flĂ©trissaient quelque peu ses lauriers, mais, malgrĂ© ce handicap, c’est Ă  elle que nous devons la quasi-totalitĂ© de ce que nous appelons la civilisation. Elle a cultivĂ© les arts et dĂ©couverts les sciences ; elle a Ă©crit les livres, inventĂ© les philosophies et affinĂ© les rapports sociaux. MĂȘme la libĂ©ration des opprimĂ©s a gĂ©nĂ©ralement reçu son impulsion d’en haut. Sans la classe oisive, l’humanitĂ© ne serait jamais sortie de la barbarie. Toutefois, cette mĂ©thode consistant Ă  entretenir une classe oisive dĂ©chargĂ©e de toute obligation entraĂźnait un gaspillage considĂ©rable. Aucun des membres de cette classe n’avait appris Ă  ĂȘtre industrieux, et, dans son ensemble, la classe elle-mĂȘme n’était pas exceptionnellement intelligente. Elle a pu engendrer un Darwin, mais, en contrepartie, elle a pondu des dizaines de milliers de gentilhomme campagnard dont les aspirations intellectuelles se bornaient Ă  chasser le renard et Ă  punir les braconniers. À prĂ©sent, les universitĂ©s sont censĂ©es fournir, d’une façon plus systĂ©matique, ce que la classe oisive produisait de façon accidentelle comme une sorte de sous-produits. C’est lĂ  un grand progrĂšs, mais qui n’est pas sans inconvĂ©nient. La vie universitaire est si diffĂ©rente de la vie dans le monde commun que les hommes dans un tel milieu n’ont gĂ©nĂ©ralement aucune notion des problĂšmes et des prĂ©occupations des hommes et des femmes ordinaires. De plus, leur façon de s’exprimer tant Ă  priver leurs idĂ©es de l’influence qu’elle mĂ©riterait d’avoir auprĂšs du public. Un autre dĂ©savantage tient au fait que les universitĂ©s sont des organisations, et qu’à ce titre, elle ne risquent de dĂ©courager celui dont les recherches empreintent des voies inĂ©dites. Aussi utile qu’elle soit, l’universitĂ© n’est donc pas en mesure de veiller de façon adĂ©quate aux intĂ©rĂȘts de la civilisation dans un monde oĂč tous ceux qui vivent en dehors de ses murs sont trop pris par leurs prĂ©occupations s’intĂ©resser Ă  des recherches sans but utilitaire. Dans un monde oĂč personne n’est contraint de travailler plus de quatre heures par jour, tous ceux qu’anime la curiositĂ© scientifique pourront lui donner libre cours, et tous les peintres pourront peindre sans pour autant vivre dans la misĂšre en dĂ©pit de leur talent. Les jeunes auteurs ne seront pas obligĂ©s de se faire de la rĂ©clame en Ă©crivant des livres alimentaires Ă  sensation, en vue d’acquĂ©rir l’indĂ©pendance financiĂšre que nĂ©cessitent les oeuvres monumentales qu’ils auront perdues le goĂ»t et la capacitĂ© de crĂ©er quand ils seront enfin libres de s’y consacrer. Ceux qui, dans leur vie professionnelle, se sont pris d’intĂ©rĂȘt pour telle ou telle phase de l’économie ou du gouvernement, pourront dĂ©velopper leurs idĂ©es sans s’astreindre au dĂ©tachement qui est de mise chez les universitaires, dont les travaux en Ă©conomie paraissent souvent quelque peu dĂ©collĂ©s de la rĂ©alitĂ©. Les mĂ©decins auront le temps de se tenir au courant des progrĂšs de la mĂ©decine, les enseignants ne devront pas se dĂ©mener, exaspĂ©rĂ©s, pour enseigner par des mĂ©thodes routiniĂšres des choses qu’ils ont apprises dans leur jeunesse et qui, dans l’intervalle, ce sont peut-ĂȘtre rĂ©vĂ©lĂ©s fausses. Surtout, le bonheur et la joie de vivre prendront la place de la fatigue nerveuse, de la lassitude et de la dyspepsie. Il y aura assez de travail Ă  accomplir pour rendre le loisir dĂ©licieux, mais pas assez pour conduire Ă  l’épuisement. Comme les gens ne seront pas trop fatiguĂ©s dans leur temps libre, ils ne rĂ©clameront pas pour seuls amusements ceux qui sont passifs et insipides. Il y en aura bien 1 % qui consacreront leur temps libre Ă  des activitĂ©s d’intĂ©rĂȘt public, et, comme ils ne dĂ©pendront pas de ces travaux pour gagner leur vie, leur originalitĂ© ne sera pas entravĂ©e et ils ne seront pas obligĂ©s de se conformer aux critĂšres Ă©tablis par de vieux pontifes. Toutefois, ce n’est pas seulement dans ces cas exceptionnels que se manifesteront les avantages du loisir. Les hommes et les femmes ordinaires, deviendront plus enclin Ă  la bienveillance qu’à la persĂ©cution et Ă  la suspicion. Le goĂ»t pour la guerre disparaĂźtra, en partie pour la raison susdite, mais aussi parce que celle-ci exigera de tous un travail long et acharnĂ©. La bontĂ© est, de toutes les qualitĂ©s morales, celle dont le monde a le plus besoin, or la bontĂ© est le produit de l’aisance et de la sĂ©curitĂ©, non d’une vie de galĂ©riens. Les mĂ©thodes de production modernes nous ont donnĂ© la possibilitĂ© de permettre Ă  tous de vivre dans l’aisance et la sĂ©curitĂ©. Nous avons choisi, Ă  la place, le surmenage pour les uns et la misĂšre pour les autres en cela, nous sommes montrĂ©s bien bĂȘte, mais il n’y a pas de raison pour persĂ©vĂ©rer dans notre bĂȘtise indĂ©finiment.
BertrandRussell [1872-1970], Éloge de l'oisivetĂ©. [1932]. Paris: Les Éditions Allia, 2002, 40 pp. PremiĂšre Ă©dition, 1932, Routledge and The Bertrand Russell Peace Fondation. Paris: Éditions Allia, 2002, pour la traduction française, 40 pp. Traduit de l’anglais par Michel Parmentier. La version anglaise est disponible sous le titre: “In Praise of Idleness”. Je ne souhaite pas que ce blog devienne une tribune politique. Mais je ne suis pas impermĂ©able Ă  ce qui se passe autour de moi. Ma vie est imprĂ©gnĂ©e de mes rencontres et dĂ©couvertes. La politique me passionne attention pas celle qui s'affiche Ă  la tĂ©lĂ© et sur de nombreux journaux, la vraie, la science des affaires de la citĂ© comme son origine Ă©tymologique en tĂ©moigne. ConnaĂźtre nos origines celles de l'homme, de la vie, comprendre comment nous vivons, ce que sont les sociĂ©tĂ©s organisĂ©es, ce qu'elles deviennent, comment elles entretiennent des relations, tout cela est fondamentalement passionnant. Ainsi, les discours de nos hommes et femmes politiques y compris ceux qui s'affichent partout en ce moment et qui ont tendance Ă  s'emmĂȘler les pinceaux en confondant les sphĂšres publiques et privĂ©es, ces disours donc rĂ©sonnent en moi et m'interpellent. Mes lectures, mes choix de sorties, s'en trouvent souvent orientĂ©es, ou, si elles ne le sont pas, provoquent parfois des avez lu rĂ©cemment dans la rubrique "Humeurs" mon opinion sur le slogan sarkozyen "travaillez plus pour gagner plus". J'avais alors tentĂ© d'illustrer mon propos avec des ouvrages de la littĂ©rature enfantine et ce cher homonyme Jean-François, du Blog Ă  Jef nous proposait aussi dans ce billet Ă©crit Ă  quatre mains deux livres et un film. J'ai lu celui qui me manquait et voilĂ  qu'il tombe Ă  point nommĂ©, Ă  l'instant mĂȘme oĂč les menaces les plus sĂ©rieuses pĂšsent sur une des Ă©volutions les plus importantes de ces derniĂšres decennies la rĂ©duction de temps de travail. Il faut dire qu'il avait fallut attendre plus de deux gĂ©nĂ©rations pour que Ă  nouveau il y ait une rĂ©duction significative. En 1936, le Front Populaire diminuait de huit heures la semaine de travail en passant Ă  40 heures et enfin Ă  l'aube du XXI° siĂšcle nous gagnions encore 4 heures d'oisivetĂ© grĂące aux lois Aubry Mitterand nous avait royalement accordĂ© une heure lors de son intronisation en arrivant Ă  35 heures. Pour plus dĂ©tails se reporter Ă  cet article historique sur WikipĂ©dia. Mais cela est-il Ă  peine tout juste suffisant que nous voilĂ  replongĂ©s 70 ans en arriĂšre. Et en plus on voudrait nous faire croire que les "35 heures" Ă©taient une loi rĂ©trograde, passĂ©iste, une formidable erreur dans le concert des Nations. Regardez donc nos voisins ? Ils travaillent eux ! Ben oui ! Mais on dira ce qu'on voudra, j'aime bien ĂȘtre diffĂ©rent surtout quand ma qualitĂ© de vie s'en trouve amĂ©liorĂ©e. Mais voilĂ , il faudrait que les mentalitĂ©s Ă©voluent. Et notamment sur la question de la notion de "Travail". Il est crucial de bien dĂ©finir ce concept. Je vous propose donc de lire ou relire en ces temps obscurs Bertrand Russell et son Ă©loge de l'oisivetĂ©. Je n'en dirais pas plus sur le livre et vous donne juste quelques extraits... Ah ! si, tout de mĂȘme, il a Ă©tĂ© Ă©crit en 1932, et publiĂ© simultanĂ©ment Ă  Londres et Ă  New-York. Certain pourtant que les inspirateurs des lois du Front Populaire RTT, CongĂ©s payĂ©s... ont dĂ» l'avoir sur leur table de chevĂȘt. Il faudrait l'offir Ă  tous ceux qui pensent que le travail libĂšre l'homme... "En effet, j'en suis venu Ă  penser que l'on travaille beaucoup trop de par le monde, que de voir dans le travail une vertu cause un tort immense, et qu'il importe Ă  prĂ©sent de faire valoir dans les pays industrialisĂ©s un point de vue qui diffĂšre radicalement des prĂ©ceptes traditionnels." "... la voie du bonheur et de la prospĂ©ritĂ© passe par une diminution mĂ©thodique du travail." "Il existe deux types de travail le premier consiste Ă  dĂ©placer une certaine quantitĂ© de matiĂšre... le second, Ă  dire Ă  quelqu'un d'autre de le faire. Le premier type de travail est dĂ©sagrĂ©able et mal payĂ© ; le second est agrĂ©able et trĂšs bien payĂ©." "La morale du travail est une morale d'esclave, et le monde moderne n'a nul besoin de l'esclavage."Bonne lecture...Eloge de l'oisivetĂ© de Bertrand Russell, Ă©ditions Allia, Petite collection, Paris - 6,10 €.

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Ainsi que la plupart des gens de ma gĂ©nĂ©ration, j'ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© selon le principe que l'oisivetĂ© est mĂšre de tous les vices. Comme j'Ă©tais un enfant pĂ©tri de vertus, je croyais tout ce qu'on me disait et je me suis ainsi dotĂ© d'une conscience qui m'a contraint Ă  peiner au travail toute ma vie....A lire la suite de la traduction de Michel Parmentier Obtenezle livre Eloge de l'oisivetĂ© de Bertrand RUSSELL au format PDF sur E.Leclerc. Ainsi que la plupart des gens de ma génération, jñ€ℱai été élevé selon le principe que lñ€ℱoisiveté est mÚre de tous les vices. Comme jĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©tais un enfant pétri de vertu, je croyais tout ce quñ€ℱon me disait, et je me suis ainsi doté dñ€ℱune conscience qui mñ€ℱa contraint à peiner au travail toute ma ñ€©Pour parler sérieusement, ce que je veux dire, cñ€ℱest que le fait de croire que le TRAVAIL en lettres majuscules dans le texte est une vertu est la cause de grand maux dans le monde moderne, et que la voie du bonheur et de la prospérité passe par une diminution méthodique du travail.ñ€©Il existe deux types de travail le premier consiste à déplacer une certaine quantité de matiÚre se trouvant à la surface de la Terre, ou dans le sol mÃÂȘme ; le second, à dire à quelquñ€ℱun dñ€ℱautre de le faire. Le premier type de travail est désagréable et mal payé. Le second type est agréable et trÚs bien payé. Le second type de travail peut sĂąâ‚Źâ„ąĂƒÂ©tendre de façon illimitée il y a non seulement ceux qui donnent des ordres, mais aussi ceux qui donnent des conseils sur le genre dñ€ℱordres à donner.ñ€©Quand je suggÚre quñ€ℱil faudrait réduire à quatre le nombre dñ€ℱheures de travail, je ne veux pas laisser entendre quñ€ℱil faille dissiper en pure frivolité tout le temps quñ€ℱil reste. Je veux dire quñ€ℱen travaillant quatre heures par jour, un homme devrait avoir droit aux choses qui sont essentielles pour vivre dans un minimum de confort, et quñ€ℱil devrait pouvoir disposer de son temps comme bon lui semble.ñ€©Autrefois, il existait une classe oisive assez restreinte et une classe laborieuse plus considérable. La classe oisive bénéficiait dñ€ℱavantages qui ne trouvaient aucun fondement dans la justice sociale, ce qui la rendait nécessairement despotique, limitait sa compassion, et lñ€ℱamenait à inventer des théories qui pussent justifier ses privilÚges. Ces caractéristiques flétrissaient quelque peu ses lauriers, mais, malgré ce handicap, cñ€ℱest à elle que nous devons la quasi totalité de ce que nous appelons la civilisation. Elle a cultivé les arts et découvert les sciences ; elle a écrit les livres, inventé les philosophies et affiné les rapports sociaux. MÃÂȘme la libération des opprimés a généralement reçu son impulsion dñ€ℱen haut. Sans la classe oisive, lñ€ℱhumanité ne serait jamais sortie de la barbarie.ñ€©Les méthodes de production, modernes, nous ont donné la possibilité de permettre à tous de vivre dans lñ€ℱaisance et la sécurité. Nous avons choisi, à la place, le surmenage pour les uns et la misÚre pour les autres en cela, nous nous sommes montrés bien bÃÂȘtes, mais il nñ€ℱy a pas de raison pour persévérer dans notre bÃÂȘtise indé Russell Élogede l’oisivetĂ© 1 Ainsi que la plupart des gens de ma gĂ©nĂ©ration, j’ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© se- lon le principe que l’oisivetĂ© est mĂšre de tous vices. Comme j’étais un enfant pĂ©tris de vertu, je croyais tout ce qu’on me disait, et je me suis ainsi dotĂ© d’une conscience qui m’a contraint Ă  peiner au travail toute ma vie. Pascale Borrel Texte intĂ©gral 1Le verbe vaquer, dans sa forme intransitive, exprime la cessation d’une activitĂ©, un temps mort inscrit dans celui, continu, du travail. La forme active que l’emploi du verbe impose attribue au sujet qui vaque une pratique singuliĂšre celle de faire rien. Cette vacance peut ĂȘtre causĂ©e par des circonstances extĂ©rieures ou par une incapacitĂ© du sujet ou encore par une volontĂ©. Dans le contexte de la pratique de l’art, le suspend de l’activitĂ© peut intervenir dans le processus de fabrication comme attente imposĂ©e par des conditions pratiques et techniques ; ou bien, ce suspend peut ĂȘtre l’effet d’un Ă©tat d’ñme », d’une tension sclĂ©rosante que traduit, par exemple, le dĂ©sƓuvrement mĂ©lancolique ; ou encore, il peut ĂȘtre la marque d’un parti pris consistant Ă  faire de la vacance une composante de l’Ɠuvre. C’est de ce parti pris qu’il sera question ici, celui qui consiste pour l’artiste Ă  se dĂ©finir comme un ĂȘtre inoccupĂ©. La paresse dĂ©clarĂ©e ou l’immobilitĂ© improductive sont des expressions de cette vacance dont il s’agira de montrer la portĂ©e poĂ©tique et critique. 1 1Man Ray citĂ© par Bernard MarcadĂ©, Marcel Duchamp, Paris, Flammarion, 2007, p. 213. J’avais remarquĂ© que le panneau de Duchamp n’était Ă©clairĂ© que par une seule ampoule, sans abat-jour ; mais je savais par expĂ©rience que cela n’avait pas d’importance puisqu’il s’agissait de photographier un objet immobile. L’appareil Ă©tait installĂ© sur pied, les rĂ©sultats seraient satisfaisants, pourvu que le temps d’exposition fĂ»t assez long. En ajustant l’objectif, j’avais une vue plongeante sur le panneau, qui ressemblait Ă  un Ă©trange paysage vu par un oiseau. Le panneau Ă©tait poussiĂ©reux. Des petits bouts de serviettes en papier et d’ouatage de coton, qui avaient servi Ă  nettoyer les Ă©lĂ©ments terminĂ©s, ajoutaient au mystĂšre de l’Ɠuvre. [
] L’exposition serait fort longue, aussi j’ouvris l’obturateur et nous sortĂźmes pour manger. Nous revĂźnmes une heure plus tard et je fermai l’ 2 Man Ray dĂ©cide de faire cette photographie dans le contexte de la SociĂ©tĂ© Anonyme, Inc. que Katheri ... 3 Marcel Duchamp citĂ© in ibid., p. 213. Man Ray relate ici les conditions dans lesquelles il a rĂ©alisĂ© en 1920 la photographie2 que Duchamp intitulera Élevage de poussiĂšre. Le panneau » est le Grand Verre, disposĂ© Ă  l’horizontale dans l’atelier new-yorkais faiblement Ă©clairĂ©. Duchamp a dĂ©cidĂ© de laisser la poussiĂšre s’y accumuler puis de la fixer avec du vernis afin que certaines formes aient cette sorte de couleur »3. 4 On peut penser Ă  des Ɠuvres aussi diffĂ©rentes que certains films de Warhol Empire, Sleep, Screen T ... 2L’existence de cette photographie suppose des mises en suspend de l’activitĂ© celle qu’exigent le dĂ©pĂŽt de la poussiĂšre et celle qui dĂ©pend du long temps de pose. Ces conditions de fabrication permettent d’établir une relation entre Élevage de poussiĂšre et de nombreuses Ɠuvres dont la production impose un temps de dĂ©cantation, pendant lequel travailler consiste Ă  attendre que les choses se fassent »4. Ces mĂ©thodes de travail qui font de la gĂ©nĂ©ration de l’Ɠuvre un processus partiellement indĂ©pendant de l’action de l’artiste participent d’une conception de la pratique de l’art celle qui durant le XXe siĂšcle s’est employĂ©e Ă  dĂ©finir l’Ɠuvre comme entitĂ© impersonnelle, disjointe de la singularitĂ© de son auteur. 5 MarcadĂ©, Marcel Duchamp, op. cit., p. 121. 6 Le Grand Verre devait revenir aux Arenberg qui avaient apportĂ© Ă  Duchamp une aide matĂ©rielle. En 19 ... 7 MarcadĂ©, Marcel Duchamp, op. cit., p. 241. 3Toutefois, c’est aussi la relation que Duchamp a entretenue avec le Grand Verre et avec le travail en gĂ©nĂ©ral, qu’Élevage de poussiĂšre manifeste. Quand, en 1920, Man Ray rĂ©alise la photographie de sa surface poussiĂ©reuse, l’Ɠuvre est entreprise depuis dĂ©jĂ  cinq ans. Duchamp la nomme ma grande saloperie »5, indiquant ainsi le travail important que sa conception et sa rĂ©alisation exigent et un dĂ©sintĂ©rĂȘt croissant pour cette tĂąche laborieuse. Les annĂ©es qui lui sont consacrĂ©es constituent une durĂ©e discontinue le travail est mis en suspend par la rĂ©alisation d’autres Ɠuvres, par des voyages, par les occupations mondaines new-yorkaises. Cette exĂ©cution qui s’éternise croise en 1923 des circonstances6 dont Duchamp profite pour dĂ©cider ou plutĂŽt constater l’ inachĂšvement dĂ©finitif »7 du Grand Verre. La reprĂ©sentation photographique de la poussiĂšre peut ainsi renvoyer Ă  la relation Ă©troite que l’Ɠuvre de Duchamp Ă©tablit entre implication et dĂ©sinvestissement, entre labeur et oisivetĂ©. Le Grand Verre, en effet, est Ă  la fois le produit d’un travail dense, et celui de sa nonchalante mise en suspend. 4Dans un essai intitulĂ© Laisser pisser le mĂ©rinos, Bernard MarcadĂ© a fait apparaĂźtre l’insistance avec laquelle Duchamp a exprimĂ© le rien faire », la vacance. À Francis SteegmĂŒgler, par exemple, il dĂ©clare 8 Marcel Duchamp citĂ© in Bernard MarcadĂ©, Laisser pisser le mĂ©rinos, Paris, L’Échoppe, 2006, p. 11. Au fond, je n’ai rien fait depuis 1923, vous pouvez le dire. Est-ce qu’il faut faire un minimum de choses ? Vous savez comme le temps passe. Les guerres surviennent. Pour une raison ou pour une autre on ne travaille Ou encore, il dit Ă  Pierre Cabanne 9 Marcel Duchamp, citĂ© in ibid., p. 19. Je n’ai pas connu [
] l’effort de produire, la peinture n’ayant pas Ă©tĂ© pour moi un dĂ©versoir, ou un besoin impĂ©rieux de m’exprimer. Je n’ai jamais eu cette espĂšce de besoin de dessiner le matin, le soir, tout le temps, de faire des croquis, 10 Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, Paris, Gallimard, 1992, p. 368. 11 Walter Benjamin, Paris. Capitale du XIXe siĂšcle, Paris, Cerf, 1989, p. 441. La maniĂšre dont Duchamp dit se tenir Ă  distance du travail est ambivalente il y est Ă  la fois question de paresse et de nonchalance constitutives, et de pondĂ©ration, d’improductivitĂ© distinguĂ©e. Quand Duchamp assimile le fait de ne rien faire Ă  une maniĂšre de retrait raffinĂ©, c’est dans la tradition dandy qu’il s’inscrit. Si le dandysme, tel qu’il s’est manifestĂ© au XIXe siĂšcle, est associĂ© Ă  un soin de la mise vestimentaire, c’est aussi une volontĂ© de se tenir loin des activitĂ©s laborieuses qui le caractĂ©rise. Oscar Wilde fait dire Ă  Lord Henry Ă  l’adresse de Dorian Gray Je suis ravi que vous n’ayez jamais rien fait, jamais sculptĂ© une statue, jamais peint un tableau, jamais produit quoi que ce soit en dehors de vous-mĂȘme »10. La construction de soi, qui constitue l’Ɠuvre du dandy, participe d’une oisivetĂ© celle-ci est l’une des marques qui le distingue de la masse, soumise elle Ă  l’obligation matĂ©rielle et morale de travailler. La vacance du dandy n’est pas le dĂ©sƓuvrement, le mal ĂȘtre mĂ©lancolique ; c’est d’une oisivetĂ© qu’il s’agit, oisivetĂ© Ă  pratiquer, Ă  cultiver et Ă  rendre visible, selon une mise en scĂšne souvent appuyĂ©e. Walter Benjamin rapporte qu’ en 1839, il Ă©tait Ă©lĂ©gant d’emmener une tortue quand on allait se promener »11. Par son caractĂšre grotesque, cette dĂ©ambulation dans les passages parisiens rĂ©duit le thĂšme poĂ©tique de la flĂąnerie Ă  l’ostentatoire exhibition de la lenteur et de l’oisivetĂ©. De maniĂšre analogue, on peut considĂ©rer qu’une part de l’activitĂ© et des propos de Duchamp a eu comme finalitĂ© de mettre en Ă©vidence sa distance avec le faire » artistique l’engouement pour le jeu d’échecs, le choix de rendre secrĂšte la rĂ©alisation d’Étant donnĂ©s
 ont pour effet d’associer Ă  la figure de l’artiste la distinction du dilettante. 12 Marcel Duchamp citĂ© par Bernard MarcadĂ©, Laisser pisser le mĂ©rinos, op. cit., p. 43. 13 Dans une note, non datĂ©e des annĂ©es soixante, il y fait rĂ©fĂ©rence et pense Ă  la crĂ©ation d’un hos ... 5Dans les propos de Duchamp, ne rien faire » ne relĂšve pas seulement d’un parti pris artistique ; c’est Ă©galement la manifestation d’un penchant commun J’aurais voulu travailler, mais il y avait en moi un fond de paresse Ă©norme. J’aime mieux vivre, respirer que travailler »12. La paresse est prĂ©sentĂ©e comme l’attribut du vellĂ©itaire mais aussi comme la source d’un plaisir hĂ©doniste. Duchamp dit avoir Ă©tĂ© marquĂ© par la lecture qu’il a faite, en 1912, de l’essai de Paul Lafargue Le Droit Ă  la paresse13. 14 Paul Lafargue, Le Droit Ă  la paresse, Paris, Allia, 1999, p. 35. 15 Ibid., p. 12. 16 Voir Ă  ce propos Anson Rabinbach, Le Moteur humain. L’énergie, la fatigue et les origines de la mod ... 6Paru en feuilleton dans le quotidien L’ÉgalitĂ©, en 1881, Le Droit Ă  la paresse n’a toutefois pas pour objet d’exposer les douceurs du farniente. Il est une critique d’un contexte Ă©conomique et social, celui de la sociĂ©tĂ© industrielle de cette fin du XIXe siĂšcle. Lafargue y explique la nĂ©cessitĂ© de mater la passion extravagante des ouvriers pour le travail »14, parce que le travail est la cause de toute dĂ©gĂ©nĂ©rescence intellectuelle, de toute dĂ©formation organique »15, et surtout parce que la puissance de production doit ĂȘtre canalisĂ©e pour assurer un juste Ă©quilibre entre richesses et consommation. Dans le cadre de cette analyse socio-Ă©conomique, l’introduction de la notion de paresse » semble un peu incongrue. Manifestement, c’est pour sa portĂ©e provocatrice que l’auteur l’utilise ainsi que pour sa valeur symbolique. La paresse, en effet, permet Ă  Lafargue d’inscrire son projet dans une tradition, d’en faire percevoir les fondements culturels, qui rĂ©sident dans la sociĂ©tĂ© paĂŻenne, charnelle, joyeuse que l’Ɠuvre de Rabelais prĂ©sente et, antĂ©rieurement, dans un Âge d’or » antique oĂč le travail est une valeur nĂ©gative. Argos dĂ©signe celui qui ne travaille pas », le citoyen, en opposition Ă  l’esclave qui, lui, se consacre Ă  la gestion de la vie de la communautĂ©. Ou encore, cette dĂ©prĂ©ciation du travail est incarnĂ©e par la figure du poĂšte grec dont l’activitĂ© est une oisivetĂ© hĂ©roĂŻque, un don des dieux. S’en remettre Ă  cet Âge d’or » c’est, pour Lafargue, rompre avec la culture chrĂ©tienne qui dĂ©finit la paresse comme manquement aux obligations spirituelles et sociales16 ; c’est envisager les effets positifs de l’oisivetĂ© sur le plan collectif, en matiĂšre d’économie et de santĂ© publique. 17 Par exemple Samuel Johnson, Le Paresseux ensemble de textes parus entre 1758 et 1760, Casimir M ... 18 ClĂ©ment Pansaers, Apologie de la paresse, Paris, Allia, 1986. 19 Robert Louis Stevenson, Une apologie des oisifs, Paris, Allia, 2001, p. 15. 7Duchamp, lui, parle de la paresse comme expĂ©rience subjective, comme plaisir d’habiter le temps vacant, plaisir que de nombreux auteurs ont mis en Ă©vidence17. Si leurs essais, leurs pamphlets en envisagent la portĂ©e politique, ils insistent tout autant sur les plaisirs sensoriels qu’elle procure. Dans son Apologie de la paresse, ClĂ©ment Pansaers Ă©crit O ! Le luxe imprĂ©vu de la fainĂ©antise ! La grĂšve gĂ©nĂ©rale sur une grĂšve ensoleillĂ©e ! »18. Quand Stevenson Ă©voque l’école buissonniĂšre sous les traits convenus de l’insoumission enfantine aux rĂšgles de l’apprentissage scolaire, cette conduite paresseuse est conçue comme pratique hĂ©doniste, comme ouverture du sujet Ă  la chaleur palpitante de la vie »19. La paresse est l’objet de diffĂ©rentes approches, de diffĂ©rentes projections ; elle apparaĂźt ainsi comme une notion mallĂ©able, offerte Ă  la construction de reprĂ©sentations, de figures. 20 Roland Barthes, Osons ĂȘtre paresseux », Le Grain de la voix, Entretiens 1962-80, Paris, Le Seul, ... 21 Ibid., p. 358. 22 Ibid., p. 360. 23 Roland Barthes, Le Neutre. Cours au CollĂšge de France 1977-78, Paris, Seuil, 2002, p. 232. 24 Ibid. 25 RĂ©sumĂ© de Roland Barthes pour l’annuaire du CollĂšge de France », in ibid. p. 261. Les Ă©tats et co ... 8C’est ce que l’on perçoit dans une interview donnĂ©e par Barthes au Monde Dimanche en 1979, intitulĂ©e Osons ĂȘtre paresseux »20. Ce n’est pas d’un droit Ă  la paresse » qu’il y est question mais d’une capacitĂ© dont Barthes se dit dĂ©pourvu il dit ne pas savoir rien faire, contrairement au concierge parisien qu’il voyait, quand il Ă©tait enfant, sortir une chaise dans la rue le soir pour s’asseoir sans rien faire »21, ou contrairement au cancre qui ne participe pas, n’est pas exclu, qui est lĂ , un point c’est tout, comme un tas »22. La maniĂšre dont Barthes qualifie le statisme du concierge ou du cancre rappelle les remarques qu’il consacre Ă  s’asseoir » dans le zen, dans son cours Le Neutre en 1977-78 au CollĂšge de France. Barthes indique que, dans cette branche du bouddhisme, s’asseoir » est un acte qui exprime l’idĂ©e de non-profit [
] de non-dĂ©sir de prendre »23 ; et l’auteur Ă©tablit une relation entre cette Ă©nergie mĂ©ditative et la paresse l’assis pense, veille [
] jouit dans la paresse. ⼕ RĂȘve de toute une journĂ©e, une fois, complĂštement assis sans aucune demande, tĂąche, responsabilitĂ© »24. Dans le contexte de son cours, Barthes a choisi, pour dĂ©finir le neutre, de prĂ©senter diffĂ©rents Ă©tats et conduites qui suspendent le conflit »25. La paresse ne figure pas parmi ceux-ci ; mais le mode selon lequel Barthes parfois y fait allusion, indique que c’est Ă  un Ă©tat de suspend des conflits » qu’il l’associe. La paresse n’est pas la mollesse contre laquelle il faut lutter, mais un Ă©quilibre paisible, une quiĂ©tude de l’esprit que l’immobilitĂ© du corps manifeste. 9Cette maniĂšre de vacance constitue, pour certains artistes, un objet de reprĂ©sentation ; l’Ɠuvre se fonde alors sur la relation que le corps immobile de l’artiste entretient avec un contexte spatial et temporel. Le 8 fĂ©vrier 1965, Filliou prĂ©sente au CafĂ© Au Le secret de la crĂ©ation permanente absolue, dont il rapporte le dĂ©roulement en ces termes Moi, m’adressant au public mon nom est Filliou, donc le titre de mon poĂšme est le Filliou idĂ©al C’est un poĂšme-action et je vais le prĂ©senter Ne rien dĂ©cider Ne rien choisir Ne rien vouloir Ne rien possĂ©der Conscient de soi Pleinement Ă©veillĂ© TRANQUILLEMENT ASSIS SANS RIEN FAIRE Puis je me suis assis en tailleur sur la scĂšne, immobile et silencieux 26 Filliou, comme Barthes, fait rĂ©fĂ©rence au zen ; tous deux mentionnent ce poĂšme Zenrin Assis pai ... Le poĂšme-action de Filliou consiste Ă  Ă©noncer les fondements et le sens26 de cette immobilitĂ© avant de la produire et de la tenir. Filliou théùtralise l’inactivitĂ© en la mettant littĂ©ralement en scĂšne, en instaurant avec le public une relation frontale dont le caractĂšre direct rĂ©side dans la prise de parole puis dans un face Ă  face silencieux installĂ© dans la durĂ©e. C’est Ă©galement ce rapport frontal que Kim Sooja Ă©tablit lors d’une suite de performances rassemblĂ©es sous le titre A Needle Woman 1999-2001 et 2005. Dans une dizaine de grandes villes Londres, Shanghai, Lagos, Mexico, JĂ©rusalem
, Kim Sooja s’est tenue sans bouger, une vingtaine de minutes, au milieu d’un flot souvent trĂšs dense de passants. Les vidĂ©os qui rendent compte de ces situations, filmĂ©es au tĂ©lĂ©objectif, ralenties Ă  la projection, montrent invariablement l’artiste de dos, cadrĂ©e Ă  la taille. Le point de vue adoptĂ© permet de mettre en Ă©vidence l’avancĂ©e des passants face Ă  ce corps statique. Celui-ci apparaĂźt Ă  la fois comme l’obstacle et l’aimant de ces individus en mouvement. 10Par le rapport frontal qu’ils Ă©tablissent avec un public, avec des passants, Robert Filliou et Kim Sooja indiquent la relation que leur immobilitĂ© cherche Ă  Ă©tablir tranquillement assis » ou plantĂ© hiĂ©ratiquement, le corps est le signe, par son inactivitĂ©, d’un investissement mental, d’une concentration. Le face-Ă -face que les artistes instaurent indique que cet exercice mĂ©ditatif s’alimente de la prĂ©sence de ceux qui s’y confrontent, et cherche en retour Ă  les toucher. 11Dans ses interviews, Kim Sooja insiste sur la relation d’empathie avec le rĂ©el, avec les individus, qui anime son travail. Cette empathie s’exprime de maniĂšre appuyĂ©e dans les performances intitulĂ©es A Beggar Woman et A Homeless Woman 2000-2001, rĂ©alisĂ©es elles aussi dans diffĂ©rentes grandes villes. L’artiste y adopte la position du mendiant et des personnes qui dorment dans la rue pour, dit-elle, ressentir ces Ă©tats de grande prĂ©caritĂ©. Les images de ces performances soulignent le caractĂšre ambigu de la situation le corps de l’artiste, parfaitement statique, traduit l’indigence en une pose ; il assimile les signes de la pauvretĂ© Ă  ceux d’un exercice mĂ©ditatif. 12C’est Ă©galement la rencontre perturbante de deux registres que Turista de Francis AlĂżs Ă©tablit. Il s’agit d’une photographie montrant l’artiste sur une place de Mexico, parmi un groupe d’artisans qui proposent leurs services, indiquant par un panneau posĂ© Ă  leurs pieds, leurs compĂ©tences de plombiers, de charpentiers, de peintres en bĂątiment
 Sur le panneau d’AlĂżs on peut lire Turista ». L’Ɠuvre fait se cĂŽtoyer abruptement l’inactivitĂ© subie du sans-emploi, et celle, choisie, du touriste en vacances. Elle juxtapose deux temporalitĂ©s diffĂ©rentes attendre un travail et passer le temps. La scĂšne montre bien qu’il ne s’agit pour AlĂżs de faire l’expĂ©rience d’une situation sociale Ăąpre mais, dans la proximitĂ© de celle-ci, de chercher Ă  dĂ©finir son statut d’artiste 27 Francis AlĂżs in Conversation with Russell Ferguson », in Francis AlĂżs, London, Phaidon, 2007, p. ... Lorsqu’en 1994 je me suis postĂ© devant la cathĂ©drale, Ă  cĂŽtĂ© du ZĂłcalo, avec une pancarte Ă  mes pieds signalant touriste », je voulais dĂ©noncer mais aussi mettre Ă  l’épreuve mon propre statut d’étranger, de gringo. Jusqu’à quel point puis-je appartenir Ă  cet endroit ? Jusqu’à quel point puis-je le juger ? Suis-je un participant ou seulement un observateur ? » En proposant mes services en tant que touriste au milieu de charpentiers et de plombiers, j’oscillais entre le loisir et le travail, entre la contemplation et l’ 28 AlĂżs est Belge, mais installĂ© depuis 1986 Ă  Mexico. Dans la vidĂ©o intitulĂ©e Gringo 2003 ce statut ... 29 The paradox of praxis Sometimes doing something leads to nothing. Sometimes doing nothing leads ... L’Ɠuvre permet donc de qualifier l’inscription particuliĂšre d’AlĂżs dans un contexte social et Ă©conomique proposer ses compĂ©tences de touriste » c’est d’une part rendre compte d’une extĂ©rioritĂ© dĂ©finitive28 ; et c’est d’autre part distinguer l’activitĂ© artistique de celle, nĂ©cessaire et efficace, du travailleur. Toutefois, l’Ɠuvre ne relĂšve pas de l’arrogance dandy vis-Ă -vis du labeur. PlutĂŽt, cette figure du touriste-artiste peut ĂȘtre mise en relation avec une conception du faire » qui fonde une bonne part du travail d’AlĂżs, et qu’il a Ă©noncĂ©e sous la forme suivante Le paradoxe de la pratique parfois faire quelque chose ne mĂšne Ă  rien. Parfois ne rien faire mĂšne Ă  quelque chose »29. 13Ce paradoxe qui Ă©tablit une complĂ©mentaritĂ© entre activitĂ© laborieuse de peu d’effets et inactivitĂ© fĂ©conde se manifeste dans plusieurs de ses Ɠuvres, en particulier dans The Paradoxe of Praxis I 1997 et Looking up 2001. Dans la premiĂšre, AlĂżs pousse pendant prĂšs de 9 heures, un volumineux pain de glace dans les rues de Mexico, jusqu’à ce qu’il n’en reste qu’une flaque d’eau. Dans Looking up, c’est en se tenant nonchalamment debout au milieu de la place Santo Domingo, en regardant en l’air, qu’AlĂżs produit quelque chose » un petit attroupement de passants qui, intriguĂ©s par son attitude, scrutent dans la mĂȘme direction que lui. 30 Francis AlĂżs, Conversation with Russell Ferguson », in Francis AlĂżs, op. cit., p. 14. 31 Ibid., p. 21. 32 CuauhtĂ©moc Medina, Fable Power », in Francis AlĂżs, op. cit., p. 54. 33 Francis AlĂżs, Conversation with Russell Ferguson », in Francis AlĂżs, op. cit., p. 21. 34 Ibid., p. 21. 14Le rapport qu’AlĂżs Ă©tablit entre l’activitĂ© et ses effets ainsi que l’inactivitĂ© et les siens, dĂ©finit une mĂ©thode de travail dont la portĂ©e est tant poĂ©tique que critique. En effet, ce paradox of praxis » est pour l’artiste le moyen de rendre compte, sur un mode mĂ©taphorique, d’une situation Ă©conomique et culturelle, de montrer comment le syndrome de progrĂšs et le dogme de productivitĂ© sont vĂ©cus et compris au sud de la frontiĂšre US »30. L’artiste constate que si de nombreux facteurs ont Ă©tĂ© rĂ©unis pour que ces pays entrent dans la modernitĂ©, il s’y manifeste toutefois une rĂ©sistance interne »31. AlĂżs la perçoit, par exemple, dans la tĂ©nacitĂ© avec laquelle des pratiques anachroniques persistent dans la citĂ© malgrĂ© les projets de modernisation nĂ©olibĂ©raux. CuauhtĂ©moc Medina souligne, Ă  ce propos, qu’aprĂšs le tremblement de terre de 1985, Mexico a vu la reconstruction du quartier vernaculaire, prĂ©-moderne et l’émergence d’un usage non-administratif de la rue »32. La particularitĂ© de ce contexte rĂ©side dans une volontĂ© de demeurer dans une sphĂšre d’action indĂ©terminĂ©e »33, de se dĂ©finir par des valeurs qui ne relĂšvent pas de l’efficacitĂ© Ă©conomique imposĂ©e. Cette sphĂšre d’action indĂ©terminĂ©e » n’est pas de l’immobilisme mais un processus que l’artiste qualifie de fuite en avant » et dont l’image mĂ©taphorique est le mirage les programmes de dĂ©veloppement fonctionnent prĂ©cisĂ©ment Ă  la maniĂšre d’un mirage, un but historique qui, Ă  peine apparu Ă  l’horizon, s’évapore dans les airs »34. L’Ɠuvre intitulĂ©e A Story of Deception 2003-2006 est l’illustration de ce mouvement, la camĂ©ra montrant une avancĂ©e vers des mirages, vers des brillances sans cesse disparaissant. Ce film est donc le produit d’une action inefficace et obstinĂ©e ; ces attributs, AlĂżs prend le parti de les valoriser pour conjuguer dĂ©ception et dynamisme. 15Chercher Ă  constituer un portrait de l’artiste en vacance », c’est croiser les voies nombreuses, divergentes qui se proposent quand l’inactivitĂ© est inscrite ostensiblement au sein de la pratique de l’art dĂ©claration d’une souverainetĂ© artistique extraite des nĂ©cessitĂ©s du commun ; expression d’une disponibilitĂ© d’un sujet aux douceurs du farniente ; Ă©mission d’un investissement mental par l’immobilitĂ© du corps ; mise en question de la notion d’efficacité  Le trait commun Ă  ces diffĂ©rentes conceptions de la vacance rĂ©side dans l’articulation que celle-ci permet d’établir entre l’individuel et le collectif, entre le poĂ©tique et le politique. Notes 1 1Man Ray citĂ© par Bernard MarcadĂ©, Marcel Duchamp, Paris, Flammarion, 2007, p. 213. 2 Man Ray dĂ©cide de faire cette photographie dans le contexte de la SociĂ©tĂ© Anonyme, Inc. que Katherine Dreier a fondĂ©e dans le but de faire connaĂźtre l’art moderne aux AmĂ©ricains ; voir ibid., p. 210. 3 Marcel Duchamp citĂ© in ibid., p. 213. 4 On peut penser Ă  des Ɠuvres aussi diffĂ©rentes que certains films de Warhol Empire, Sleep, Screen Tests
, la sĂ©rie des Ă©crans de cinĂ©ma de Sugimoto, les peintures par pliage de Simon HantaĂŻ, les larves trichoptĂšres d’Hubert Duprat
 Ces Ɠuvres prĂ©sentent comme trait commun la mise en place de conditions pratiques, Ă©lĂ©mentaires ou plus sophistiquĂ©es, qui demandent que pour un temps, l’artiste laisse un dispositif agir. 5 MarcadĂ©, Marcel Duchamp, op. cit., p. 121. 6 Le Grand Verre devait revenir aux Arenberg qui avaient apportĂ© Ă  Duchamp une aide matĂ©rielle. En 1923, le couple quitte New York pour la Californie et vend l’objet, trop fragile pour ĂȘtre transportĂ©, Ă  Katherine Dreier. C’est lors de ce changement de propriĂ©taires que Duchamp signe l’Ɠuvre inachevĂ©e. 7 MarcadĂ©, Marcel Duchamp, op. cit., p. 241. 8 Marcel Duchamp citĂ© in Bernard MarcadĂ©, Laisser pisser le mĂ©rinos, Paris, L’Échoppe, 2006, p. 11. 9 Marcel Duchamp, citĂ© in ibid., p. 19. 10 Oscar Wilde, Le Portrait de Dorian Gray, Paris, Gallimard, 1992, p. 368. 11 Walter Benjamin, Paris. Capitale du XIXe siĂšcle, Paris, Cerf, 1989, p. 441. 12 Marcel Duchamp citĂ© par Bernard MarcadĂ©, Laisser pisser le mĂ©rinos, op. cit., p. 43. 13 Dans une note, non datĂ©e des annĂ©es soixante, il y fait rĂ©fĂ©rence et pense Ă  la crĂ©ation d’un hospice de paresseux », ibid., p. 48. 14 Paul Lafargue, Le Droit Ă  la paresse, Paris, Allia, 1999, p. 35. 15 Ibid., p. 12. 16 Voir Ă  ce propos Anson Rabinbach, Le Moteur humain. L’énergie, la fatigue et les origines de la modernitĂ©, Paris, La fabrique, 2004. 17 Par exemple Samuel Johnson, Le Paresseux ensemble de textes parus entre 1758 et 1760, Casimir Malevitch, La Paresse comme vĂ©ritĂ© effective de l’homme, 1921, ClĂ©ment Pansaers, L’Apologie de la paresse, 1917, Robert Louis Stevenson, Une apologie des oisifs, 1877, Bertrand Russel, Éloge de l’oisivetĂ©, 1932
 18 ClĂ©ment Pansaers, Apologie de la paresse, Paris, Allia, 1986. 19 Robert Louis Stevenson, Une apologie des oisifs, Paris, Allia, 2001, p. 15. 20 Roland Barthes, Osons ĂȘtre paresseux », Le Grain de la voix, Entretiens 1962-80, Paris, Le Seul, 1981, p. 356-363. 21 Ibid., p. 358. 22 Ibid., p. 360. 23 Roland Barthes, Le Neutre. Cours au CollĂšge de France 1977-78, Paris, Seuil, 2002, p. 232. 24 Ibid. 25 RĂ©sumĂ© de Roland Barthes pour l’annuaire du CollĂšge de France », in ibid. p. 261. Les Ă©tats et conduites que Barthes a choisis de traiter sont la Bienveillance, la Fatigue, le Silence, la DĂ©licatesse, le Sommeil, l’Oscillation, la Retraite
 26 Filliou, comme Barthes, fait rĂ©fĂ©rence au zen ; tous deux mentionnent ce poĂšme Zenrin Assis paisiblement, sans rien faire, / le printemps vient et l’herbe croĂźt d’elle-mĂȘme ». 27 Francis AlĂżs in Conversation with Russell Ferguson », in Francis AlĂżs, London, Phaidon, 2007, p. 11 reproduit et traduit en français in Francis AlĂżs. A Story of Deception, Bruxelles, Lannoo-Wiels, 2010, p. 41. 28 AlĂżs est Belge, mais installĂ© depuis 1986 Ă  Mexico. Dans la vidĂ©o intitulĂ©e Gringo 2003 ce statut d’étranger est associĂ© Ă  une situation de tension la camĂ©ra tenue par l’artiste entre en confrontation avec une meute de chiens belliqueux qui garde une maison dans une province centrale du Mexique. 29 The paradox of praxis Sometimes doing something leads to nothing. Sometimes doing nothing leads to something ». 30 Francis AlĂżs, Conversation with Russell Ferguson », in Francis AlĂżs, op. cit., p. 14. 31 Ibid., p. 21. 32 CuauhtĂ©moc Medina, Fable Power », in Francis AlĂżs, op. cit., p. 54. 33 Francis AlĂżs, Conversation with Russell Ferguson », in Francis AlĂżs, op. cit., p. 21. 34 Ibid., p. 21. Auteur Est maĂźtre de confĂ©rences en arts plastiques Ă  l’UniversitĂ© Rennes 2, membre de l’équipe d’accueil Arts pratiques et poĂ©tiques EA 3208. Sa recherche concerne les relations entre pratique de l’art et Ă©criture, la temporalisation des images et les diffĂ©rentes formes de retrait de l’auteur. Dansce texte Russel ne fait pas vraiment l'Ă©loge de l'oisivetĂ©, mais il dit qu'il ne faut pas valoriser le travail Ă  outrance. Travailler plus ce n'est pas une idĂ©e qui vient de soi, mais c'est un concept ancien qu'on a inculquĂ© aux peuples. Extrait de la publication Extrait de la publication Éloge de l’oisivetĂ© Extrait de la publication Extrait de la publication   ïą  ïČ  ïČ ïĄ ïź  ïČ  ïł ïł  ïŹ ïŹ Éloge de l’oisivetĂ© Traduit de l’anglais par   ïŁ   ïŹ ï°ïĄ ïČ   ïź    ïČ      ïŻ ïź ïł ïĄ ïŹ ïŹ  ïĄ e , ï°ïĄïŹ   ïĄ  ïź  ,  ïČ  ïłïČ    ïĄ ïČ ïŁ  ïœČïœČ Extrait de la publication    ïČ  ïŻ ïČ    ïź ïĄ ïŹ In Praise of Idleness La premiĂšre Ă©dition deÉloge de l’oisivetĂ©a paru enïœčïœłïœČ dansReview of Reviews. © Routledge&the Bertrand Russell Peace Foundation. © Éditions Allia, Paris,ïœČïœČ,ïœČïœČpour la traduction française. Extrait de la publication ïĄ  ïź ïł plupart des gens de ma gĂ©nĂ©-que la ration, j’ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© selon le principe que l’oi-sivetĂ© est mĂšre de tous vices. Comme j’étais un enfant pĂ©tri de vertu, je croyais tout ce qu’on me disait, et je me suis ainsi dotĂ© d’une conscience qui m’a contraint Ă  peiner au tra-vail toute ma vie. Cependant, si mes actions ont toujours Ă©tĂ© soumises Ă  ma conscience, mes idĂ©es, en revanche, ont subi une rĂ©volu-tion. En effet, j’en suis venu Ă  penser que l’on travaille beaucoup trop de par le monde, que de voir dans le travail une vertu cause un tort immense, et qu’il importe Ă  prĂ©sent de faire valoir dans les pays industrialisĂ©s un point de vue qui diffĂšre radicalement des prĂ©ceptes tra-ditionnels. Tout le monde connaĂźt l’histoire du voyageur qui, Ă  Naples, vit douze mendiants Ă©tendus au soleil c’était avant Mussolini, et proposa une lire Ă  celui qui se montrerait le plus paresseux. Onze d’entre eux bondirent Extrait de la publication . 566 59 93 540 417 637 544 479

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